ANALYSE
CRITIQUE DU LIVRE VERT
(suite
à la réunion du 26/05/03 à
Bruxelles)
Yves
Durrieu
Répondre
au questionnaire proposé par la CE ne suffit pas. Il semble indispensable de rédiger une
introduction dénonçant les insuffisances notoires de ce texte et son
orientation politique, inspirée, comme d’habitude, par le recours
prioritaire à la concurrence. Trois critiques, d’importance inégale,
pourraient illustrer ces propos.
OBSERVATIONS
GENERALES
La
concurrence considérée comme une fin en soi.
Bien que, dès le 19° siècle, de nombreux économistes, même libéraux,
ont reconnu le caractère particulier du service public et de « la
fonction publique » qui s’y attachait (S.Mill,Walras,A.Marshall,
etc.. ), le Traité de Rome accorde à
la concurrence un rôle quasi-exclusif afin de réaliser la
meilleure allocation des ressources en vue de la construction de l’espace
européen, y compris en ce qui concerne les services publics, que l’on
crédite d’une simple dérogation, en autorisant un financement
exceptionnel correspondant à des obligations particulières.
La CE, appliquant strictement son rôle de « gardienne des
Traités », a impulsé une politique de destruction systématique de
l’organisation antérieure des services publics reposant sur des
monopoles publics afin de la remplacer par la loi du marché, les
obligations de service public étant étroitement surveillées par elle
quant à leur définition et à leur financement. Ce devrait être l’objet
essentiel d’une directive-cadre que de tenir compte des expériences des
dix dernières années de libéralisation des services publics (parfois
positives, mais souvent négatives), et d’examiner, en conséquence, la
possibilité de construire un nouvel équilibre entre concurrence (considérée
comme un moyen, parmi d’autres, et non plus comme une fin en soi) et
missions d’intérêt général (appréciées de façon plus large et
autonome par rapport au marché). Un
premier pas dans cette direction semblait pouvoir être franchi
lorsque la CE évoquait la possibilité d’adopter « un règlement
d’exemption par catégorie » pour les aides d’Etat
les concernant
On
pouvait espérer que cette initiative pourrait préluder à une évolution
allant dans le sens indiqué ci-dessus et qui serait la raison d’être
d’une directive-cadre transversale à tous les services d’intérêt général.
Le Livre vert n’aborde malheureusement pas ce problème considéré
comme essentiel .
La
fonction de régulation.
Considérée comme occupant une place centrale dans le dispositif
d’intervention, elle est analysée dans le Livre vert
uniquement dans la partie annexe et, de la sorte ne fait l’objet
d’aucune question., alors que les directives sectorielles y consacrent
de larges développements et qu’une Communication de la CE sur les
agences européennes de régulation(11/12/02) pose toute une série d’options.
Tout en laissant les Etats membres libres de choisir leur forme d’agence,
il aurait été nécessaire d’interroger
les destinataires du LV sur les moyens de réaliser l’indépendance
de ces agences, leurs missions au niveau des Etats membres et leur coopération
communautaire.
L’eau.
Parmi les services publics en réseau, l’eau revêt le caractère le
plus vital et donc le plus chargé d’intérêt général. C’est celui
dont la mission de service public est la plus impérative. Il
paraît anormal de l’éliminer d’office des réflexions du LV
sous prétexte qu’il n’est qu’un service local, alors qu’il est au
contraire souvent géré au niveau d’un bassin, d’une région ou au
niveau national, et que son caractère éminemment public devrait faire
partie des préoccupations communautaires.
OBSERVATIONS
SUR LE QUESTIONNAIRE
Il
conviendrait, à propos de chaque série de questions, de porter un
jugement général préalable aux réponses particulières, spécialement
sur les sujets suivants :
Autres
obligations spécifiques.
Le problème de la sécurité est abordé uniquement sur le danger des
attentats. Aucune mention sur la protection contre les accidents d’ordre
technique touchant les agents des entreprises de service public ou leurs
usagers.
Sur
la sécurité d’approvisionnement, aucune mention de la nécessité pour
les entreprises gazières de
se regrouper afin de conclure des contrats à long terme plus avantageux
face à leurs fournisseurs. D’ailleurs la coopération entre entreprises
de réseaux est très souvent un excellent moyen
de réaliser l’Union européenne.
Accès
au réseau.
L’accès au réseau impose la séparation
de l’infrastructure et du service rendu qui entraîne des coûts
de transaction importants, préjudiciables à l’efficacité économique
de ces services.
Financement
des services d’intérêt général.
Le calcul de l’indemnisation correspondant aux « obligations »
de service public ne peut qu’être très approximatif et souvent préjudiciable
à l’opérateur qui en est chargé, de sorte que celui-ci cherche à
restreindre le champ de la dite obligation. Cela touche en particulier le
service universel (exemple dans les télécommunications). De plus
pourquoi ne faire aucune mention de la possibilité de
financements
croisés ou de péréquation tarifaire qui est le système le plus égalitaire.
Evaluation.
La CE s’arroge le droit d’évaluer elle-même les performances européennes
des services d’intérêt général
alors qu’elle exerce également les fonctions de conception et d’exécution
à ce niveau ; elle évalue donc les résultats de sa propre
politique, ce qui va à l’opposé de son intention proclamée dans son
Livre Blanc sur la bonne gouvernance européenne de
« se recentrer sur son cœur de métier ». Autant il
est souhaitable que la CE prenne des initiatives méthodologiques pour
l’évaluation, autant elle ne doit pas procéder elle-même à cette évaluation,
surtout lorsqu’on constate qu’elle tend à vanter systématiquement
des résultats « favorables dus à l’introduction de la
concurrence », d’après une interprétation contestable des
statistiques. On ajoutera qu’il serait inadmissible que les usagers n’interviennent
pas directement dans ce processus d’évaluation, de préférence à
toute méthode de sondage auprès d’eux.
Politique
de développement.
L’aide aux PVD est certes louable dans ses intentions, mais le grand
marchandage auquel aboutit inexorablement la procédure de l’AGCS est
bien éloignée de cette noble intention. Constatons que , lors de ces négociations,
les services que l’UE entend mettre à l’abri (santé, culture,
audiovisuel), risquent quand même d’y être réintroduits par les
demandes de pays tiers. Enfin on peut s’étonner que cette protection
soit aussi limitée, et ne porte pas sur des services comme l’eau, l’électricité
et surtout l’enseignement.
|